Si vous lisez l’anglais, que vous aimez un peu les Strokes et que vous éprouvez l’irrésistible envie de vous sentir amer, dirigez-vous de
ce pas vers l’article de Q Magazine de ce mois-ci.
Le sommaire nous donne un avant-goût :
We are in Kansas and we’re having a much better time than grumpy old Julian Casablancas. Ouais,
grumpy, ça veut dire grincheux. Mais après tout, je savais que Casablancas n’était pas un très bon orateur en interviews et qu’il ne se prêtait de fait pas au jeu des questions/réponses de si bon gré. Mais peut-être certains journalistes pourraient-ils y mettre du leur, également ? Permettez-moi, Mister John Perry, de déverser mon amertume à la lecture de votre article.
L’article n’arrête pas. Il commence par nous confier qu’au Kansas et dans le reste du pays, New York et Los Angeles mis à part, les Strokes ne sont pas ce qu’ils sont en Europe, à savoir un groupe de rock d’une certaine importance. Bon, O.K. Dommage. Puis il enchaîne : le tourbus des Strokes est apparemment tout petit – on y tient à peine debout – et
vaguely depressing. On commence à être dans l’ambiance. L’ambiance d’une tournée des Strokes : ils passent très peu de temps ensemble, et surtout, pendant les quelques jours que Q Magazine a passés avec eux,
Casablancas a à peine échangé quelques mots avec les autres. Il n’en faut pas plus à l’auteur :
it becomes clear that there are deep cracks beneath the surface of the band. Et il va s’appliquer à nous le démontrer pendant deux pages. Par exemple, alors qu’ils sont dans le tourbus, à regarder Braveheart, soudain, Casablancas s’empare de la télécommande et commence à zapper.
Curiously, none of the band objects. Mais vous n’imaginez pas comme c’est un crime terrible qui à coup sûr va faire naître contre lui de terribles ressentiments et mettre en péril la vie du groupe !
Plus tard, quand il s’entretient avec Nikolaï Fraiture et Nick Valensi, on comprend mieux ce que veut le journaliste. Ce que veut tout journaliste. Que les Strokes lui parlent de leur vie de rockstars, de leurs excès… Malheureusement pour lui, on sait que les Strokes ont mis un frein à leur consommation d’alcool, et même de cigarettes. Il n’y aurait sinon pas eu de troisième album, dit le bassiste, c’est pour ça que Julian a arrêté de boire, pour se focaliser sur ce troisième album. Frustrant pour un journaliste, non ? Peu importe. S’il n’y a rien à dire sur aujourd’hui, sur leur vie tranquille de mecs sages, engagés dans des relations longue durée, on va parler d’hier : C’était dur de faire que Julian se mette au travail ? Demande le journaliste. Et Nick Valensi de répondre que c’était dur de travailler avec lui. On imagine facilement le regard avide du journaliste : dismoidismoitoutsurlestraversdeCasablancas ! Et Valensi finit par lâcher :
When you get drink, some people get sentimental and happy, some people get kinda sad, other people get mean and violent – that was the kind of drinker Julian was. Inutile de vous dire que c’est la seule citation de l’article mise en exergue.
Et même si ce dont ils parlent, c’est le passé, même si Valensi dit que Casablancas a pris la décision de se calmer tout seul, même si Fraiture dit que ça n’était pas seulement le chanteur, que tous avaient besoin de se reprendre, c’est certainement à ce moment-là que John Perry a eu l’idée de l’orientation de son article.
A la fin de son texte, il échange quelques mots avec Casablancas. Non sans nous avoir rappelé à quel point celui-ci est
tongue-tied when the ‘record’ light clicks on. (Plus haut
dans l’article, alors que Casablancas signe des autographes, les fans, pour chaleureux qu’ils soient, n’arrivent pas à faire fondre le glaçon qu’il est :
He is monosyllabic and awkward ; as uncomfortable with his fans as he is with journalists and photographers.) Alors quand le laconique chanteur parle de la fragilité du groupe, en terme de musique, quand il dit que tout pourrait se finir aussi vite que ça a commencé et que l’abruti de journaliste lui demande si cette fragilité est due aux relations à l’intérieur du groupe, on imagine le froid que ça jette. Est-ce que c’est la plus maline des méthodes journalistiques, la franchise brutale et absurde, quand l’interviewé est du type mal à l’aise ? Bref.
Finalement, je vous aurais résumé une grande partie de l’article. Bien sûr, j’ai tourné ça de façon à étayer mon propos sur l’aberrance de la façon de procéder de ce journaliste. Comme lui l’a fait pour étayer sa thèse selon laquelle entre les Strokes, tout va mal. Après tout, peut-être que c’est vrai. Peut-être y a-t-il de réelles tensions dans le groupe. Et puis je ne m’attends pas à ce que tous les articles soient favorables aux Strokes, bien au contraire. Seulement John Perry ne parle même pas de leur musique. A la rigueur, il se contente de constater que leurs concerts déchirent. Mais sinon, franchement, qu’est-ce que c’est que cette méthode ? Se contenter de ce qu’on voit pour interpréter : comme avant un concert, chacun est de son côté, vaquant à ses occupations, alors on en déduit qu’ils passent peu de temps ensemble. Et Casablancas qui ne parle pas avec les autres… le journaliste n’a-t-il pas écrit lui-même comment se comportait le chanteur en présence de fans, de photographes ou de journalistes ?
Ça n’est pas que je me voile la face à propos de l’avenir du groupe. Je vous l’ai dit dans le post précédent, ça m’inquiète. Seulement je ne comprends pas pourquoi, dans un article sur un groupe en tournée, c’est seulement l’alcool (qu’il n’y a pas) et les tensions qui sont exposés. Peut-être parce qu’il y a une part de vérité. Peut-être parce que ce journaliste ne sait pas faire son métier.
Je termine cet interminable post par un des temps forts de l’article. John Perry émet l’hypothèse, à la fin de son entretien avec le chanteur, que l’alcool avait peut-être quelques effets bénéfiques, qu’une personne créative a besoin de voir les choses sous des angles différents.
Sure, murmure Casablancas,
Unless you want to be happy, of course.